Interprétation

Gérard Poulet, quelle école de violon ?

Quelle école de violon ? La question peut sembler saugrenue. Gérard Poulet, fils de Gaston Poulet, n’est-il pas l’incarnation même de l’école française ? Et bien non, à en croire ses propres dires. Écoutons Gérard Poulet.

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*** Mise à jour (2021)***

Dans une émission de France Musique, Gérard Poulet est revenu sur sa rupture avec l’école française. Il le fait beaucoup plus en détail qu’il ne l’avait fait, à ma connaissance, auparavant.

Gérard Poulet est sorti du conservatoire au bout de 2 ans seulement, avec un 1er Prix à 13 ans. Il commence alors les concerts. « C’est grotesque, c’est pas comme ça qu’il faut faire. Au lien d’évoluer dans le bon sens, je me suis bloqué » […] Si je n’avais pas connu Szeryng, je crois que j’aurais changé de métier. […] Mon père ne voulait pas admettre que j’étais sur une mauvaise voie, il pensait qu’il fallait que je travaille davantage dans sa direction. Et là un conflit s’est installé entre lui et moi, parce que je ne voulais pas admettre de continuer dans cet état-là, ni moralement, ni musicalement. [Quel était le problème ?] Je ne savais plus m’exprimer. […] J’étais très conscient que j’étais en train de sombrer. […]

[Qu’est-ce qu’il vous transmet Szeryng ? Vous avez travaillé pendant 10 ans avec lui] La position de la main gauche, la position du violon sur l’épaule, la hauteur du bras droit, la souplesse générale, le rapport avec la main gauche et l’archet étant complètement changé. Les quelques modifications qu’il m’avait obligé de comprendre, je me suis aperçu que c’était beaucoup plus long et difficile que prévu. Peut-être qu’il fallait d’abord que je désapprenne le violon pour le réapprendre dans l’école que j’allais adopter. Finalement, il fallait d’abord défaire pour refaire après. » (France Musique, 2019)

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« Il me semble que les écoles sont moins marquées maintenant .. d’un sceau comme à l’époque. […]

L’école franco-belge est […] vieillissante. Moi je suis une extraction, si je puis dire, de cette école là puisque j’ai appris avec mon père. Mais est-ce que je suis toujours un produit de cette école, je ne le crois pas car au fond le plus gros de mon éducation, sur le plan musical, sur le plan technique, je l’ai reçu de Henryk Szeryng. Alors, Henryk Szeryng tenait son école de Carl Flesch, qui était d’origine hongroise et à fait sa grande carrière de pédagogue, plus que de violoniste, à Berlin.

J’ai forcément une sensibilité française marquée, c’est sûr […] je ne le nie pas et j’en suis fier. Mais sur le plan de la technique pure, je me suis un peu échappé de ce que j’ai appris jeune : mon bras droit, ma main gauche, ma manière de produire le son, la prise de son, la position de la main gauche sur le manche, tout ça c’est quelque chose qui est devenu moi maintenant.

Alors je suis au départ une émanation de l’école française mais je m’en suis échappé.

[…] Tenue du violon oui, c’est vrai que quand on voit les photos des années 1900, on voyait le violoniste, même Jacques Thibaud, qui avait son violon presque face à son visage, alors qu’aujourd’hui on voit les violonistes porter leur bras vers la gauche, et le bras droit devant. Avant, il y avait une position qui n’était pas très naturelle, il y avait une articulation, un son… Nous avons tous écouté des gravures des années 1910, 20, avec un vibrato très serré, avec des glissandos, ça n’a plus cours maintenant.

[…] J’adore Jascha Heifetz, et cet amour que j’ai pour son jeu, j’essaye de le transmettre à tous mes élèves. »

Dans une autre vidéo, à la question qu’est-ce que votre père vous a enseigné,  il insiste sur « le style, l’esprit de la musique française ». Et Il définit l’école française en opposition à l’Allemagne.

Dans le documentaire Gérard Poulet, les leçons particulières de musique, il poursuit sur l’enseignement paternel :

« Mon professeur c’était mon père. […] Plus j’avançais, plus je faisais des progrès, il devenait de plus en plus sévère. Il était présent pratiquement tous les jours, et il s’occupait de moi d’une manière extrêmement serrée. Je lui obéissais, ou je devais lui obéir corps et âme. C’est là qu’on peut parler d’un conflit qui est intervenu entre lui et moi. [Conflit qui s’est manifesté] par de la désobéissance, il voulait que j’interprète par exemple Beethoven d’une certaine manière, en y mettant je me rappelle beaucoup de glissades, à une époque où les glissades tendaient à disparaître. Et c’est à ce moment que j’ai trouvé la force de lui dire

– « Écoute papa, si tu veux bien je ne ferais pas ça comme ça, j’ai envie de faire ça un peu comme ça. »
– Alors il me dit « Pourquoi tu me dis ça ? »
– « Et bien je vais te dire : j’ai écouté Jascha Heifetz. »
– Il me dit « Jascha Heifetz ? Bien sûr il joue très bien, très grande technique. Il joue trop vite, c’est pas ça la musique, c’est pas comme ça qu’il faut interpréter Beethoven, c’est pas comme ça qu’il faut voir Mozart ! »

Alors ça ! Il avait touché là le diamant, on abîme pas le diamant ! »

Pour rebondir sur cet échange, je dirais que je suis plutôt de l’avis de Gaston Poulet – Jascha Heifetz n’est pas un modèle pour moi, surtout dans Beethoven ou Mozart. Sur le fond, on trouve dans les propos de Gérard Poulet :

  • l’admiration pour la nouvelle figure du virtuose incarnée par Heifetz ou Szeryng
  • rupture avec l’enseignement paternel
  • critique de l’école française du début du siècle :selon lui, tenue du violon peu naturelle (« même Jacques Thibaud »), vibrato serré et beaucoup de démanchés.

Indiquer que bien que d’extraction française par son père, il doit surtout à Henryk Szeryng, lui-même élève de Flesch, mérite qu’on s’y arrête un instant. D’abord, l’ensemble des élèves des années 30 à 50 ne joue pas comme leurs maîtres, formés autour de 1900 – cela n’en fait pas moins des représentants de l’école française. Mais Gérard Poulet fait la distinction entre l’esprit français, qu’il tient de sa nationalité, de son père, et une éducation musicale et technique qui devrait surtout à Szeryng, élève de Flesch.
Mais Flesch, professeur de Szeryng, est bien un élève de Marsick. Et il reconnaissait tout ce qu’il lui devait, tout en soulignant l’indigence de l’enseignement à Berlin et Vienne à la fin du XIXe. Au passage, rappelons que Marsick fut également le professeur de Thibaud et Enesco, et que Flesch avait auparavant étudié dans la classe de Sauzay, élève et gendre de … Baillot (école française quand tu nous tiens). Certes, Szeryng a étudié à Berlin avec Flesch (1929-1932). Mais il a également étudié au Conservatoire de Paris avec Gabriel Bouillon (1er Prix en 1937).

Etre élève de Szeryng, donc, est-ce vraiment une rupture avec l’école française ?

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https://www.francemusique.fr/emissions/les-grands-entretiens/gerard-poulet-violoniste-2-5-78111
http://www.henrykszeryng.net/
http://www.christianpoulet.com/Mafamillemusicienne/gerard.htm

 

 

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